L’intersectionnalité

Saviez-vous que la diversité sous toutes ses formes offre des occasions de mieux se connaître et de mieux connaître les élèves et leurs familles? Saviez-vous que votre statut de privilégiée ou de privilégié dans la société peut vous empêcher de vraiment comprendre l’autre si vous n’avez pas conscience des privilèges qui existent pour certains groupes de la société? Cette capsule vous guidera vers une meilleure compréhension des privilèges d’une personne de race blanche de classe moyenne ou supérieure, dans le but de bien saisir les formes d’oppression que peuvent subir les élèves dans nos classes et la façon dont ces formes d’oppression peuvent avoir un impact sur leurs apprentissages.


Introduction


La francophonie en milieu minoritaire comprend des groupes de personnes minoritaires qui évoluent dans cette minorité. Fourot (2016) indique que « [si] les communautés francophones se sont battues pour renverser les rapports de pouvoir dominants/dominés, elles peuvent reproduire des relations inégalitaires en leur sein » (p. 28).

Présentement, l’école en milieu minoritaire francophone est surtout encadrée par les normes, les valeurs et les attitudes de la classe sociale francophone dominante (Devarennes, 2017). Qui plus est, les élèves dont les normes, valeurs et attitudes de la maison sont alignées sur celles de l’école ont plus de chance de réussir leurs études (Battiste, 2013; Lareau, 2011). En d’autres mots, l’école reflète la francophonie eurocentrique et ainsi privilégie la réussite des élèves blanches et blancs de classe moyenne ou supérieure.

L’intersectionnalité, concept développé par Kimberlé Williams Crenshaw (Crenshaw, 1989, 2017), permet de constater que les iniquités sociales ne sont pas le résultat d’un seul facteur. Les iniquités sont plutôt générées par le croisement de différents enjeux, comme la classe sociale, la situation économique, la culture, l’orientation sexuelle, la race ou la religion, et ces croisements font en sorte que certaines personnes subissent plus d’une forme de discrimination. Par exemple, un élève peut être un nouvel arrivant qui fait aussi partie de la communauté LGBTQIA2S+, donc qui appartient à deux minorités dans son école francophone en milieu minoritaire. S’il y a un comité s’intéressant à la cause LGBTQIA2S+ à l’école, il se peut qu’il soit toujours marginalisé dans ce comité à cause de son ethnicité, tout comme il se peut que le comité culturel ne réponde pas non plus à ses besoins en raison de son orientation sexuelle. L’intersectionnalité invite à regarder de façon holistique la situation de vie d’une personne afin de mieux comprendre ses expériences, au lieu de la catégoriser dans des boîtes précises où elle ne se reconnaît pas vraiment.

Les relations authentiques avec l’enseignante ou l’enseignant et autre personnel scolaire deviennent très importantes afin de combattre le racisme ou l’oppression que peuvent subir les élèves dans la perspective de l’intersectionnalité.

L’intersectionnalité permet à l’enseignante ou à l’enseignant de voir les différentes identités de chaque élève et de mieux comprendre la façon dont la combinaison de ces différentes identités influence la vie de l’élève et son expérience scolaire.


Suggestions d’activités

Puisque l’intersectionnalité est un concept permettant de bien comprendre les potentialités d’oppression, de racisme et de discrimination, les exemples d’activités ci-dessous permettent à l’enseignante ou à l’enseignant de comprendre où elle ou il se situe comme individu. Par ailleurs, ce concept permet au moins un premier pas vers la compréhension de la réalité de l’autre. C’est avec une compréhension plus authentique qu’il est ensuite possible d’engager des actions collaboratives pour faire de l’école un lieu d’apprentissage culturellement sûr et inclusif.


Stratégies individuelles

Le concept de privilège décrit les ressources auxquelles a accès une personne d’un système à l’autre. Une personne non privilégiée n’accède pas aussi facilement aux mêmes ressources. Cela ne veut pas dire que les personnes blanches de classe moyenne n’ont jamais de problèmes, mais plutôt qu’elles n’ont jamais de problèmes à cause de leur race, de leur religion, de leur orientation sexuelle, de leur statut économique, etc.

Pour sa part, l’intersectionnalité tente d’entrecroiser les différentes formes d’oppression, de racisme ou de discrimination qui font en sorte que certains individus ont plus de difficultés à se procurer les ressources qu’obtiennent les individus privilégiés, que ce soit une entrevue pour un poste, un service dans une institution publique ou une éducation dans un milieu culturellement sûr et inclusif. La roue de l’intersectionnalité permet de se situer comme individu. Plus un individu est souvent éloigné du centre Privilège, plus il est probable que cet individu vive des situations d’oppression, de racisme ou de discrimination.

Prenez le temps de vous situer sur cette roue. Où êtes-vous relativement au centre Privilège? Quelles sont vos réflexions quant à votre position dans la société?

Prenez ensuite le temps de situer vos amies, amis et votre famille. En général, où se situent vos proches relativement au centre Privilège?

Si vous n’avez pas de proches dans les sections éloignées du centre Privilège, il est suggéré de développer des liens avec des personnes potentiellement marginalisées, ou de développer des liens avec un organisme représentant un ou deux groupes trop souvent marginalisés, afin de mieux comprendre leurs expériences de la vie en société et des systèmes institutionnels, comme l’école.


La roue de l’intersectionnalité

Traduction libre et adaptation, CRIAW, 2009, p. 5


Stratégies en salle de classe

Prenez le temps de placer la famille de vos élèves sur la roue de l’intersectionnalité (sans la participation des élèves, bien sûr). Comment est-ce que les élèves se situant dans plus d’une section vers l’extérieur de la roue vivent l’expérience scolaire? Comment leurs familles perçoivent-elles l’école?

Même si on pense souvent ne pas avoir de préjugés, notre socialisation même nous a appris, et cela à un jeune âge, à adopter des attitudes et des comportements plus accueillants envers les personnes dont la culture s’aligne sur la sienne. Il faut donc faire des efforts conscients pour se débarrasser de nos préjugés. Le premier pas pour créer un environnement d’apprentissage sûr et inclusif pour chaque élève est de s’intéresser à leurs perceptions de leurs expériences scolaires, puis d’apporter les changements nécessaires afin d’assurer une expérience scolaire équitable pour chaque élève. Par exemple, l’expérience scolaire d’un élève autochtone peut être très différente de celle d’un autre Autochtone, selon ses identités distinctes et si cet élève se trouve à l’intersectionnalité avec d’autres situations de vie le plaçant à risque de subir de la discrimination ou encore plus d’oppression. L’intersectionnalité tente surtout de ne pas placer toutes et tous les élèves dans une seule catégorie, comme « autochtone », mais de regarder toutes les facettes de l’identité de chaque élève.

Si les élèves sont très jeunes, vous pouvez aussi mieux connaître leurs besoins en développant des relations authentiques avec les parents ou avec un organisme représentant les groupes souvent marginalisés, toujours en gardant en tête qu’il faut voir l’élève comme un être holistique qui peut subir plus d’une forme de racisme, de discrimination ou d’oppression. Voici une liste non exhaustive de stratégies :

  • Développer une relation authentique avec vos élèves.
  • Développer une relation authentique avec les parents ou les responsables des élèves.
  • Prendre part à des événements culturels des autres cultures.
  • Prendre part à des événements de groupes cherchant l’équité sociale.
  • Démontrer une grande ouverture et de l’intérêt relativement aux expériences scolaires des élèves.
  • Lorsqu’une ou un élève ne semble pas être acceptée ou accepté par ses pairs, utiliser l’intersectionnalité, parmi d’autres outils, pour mieux comprendre la situation de l’élève.
  • Équilibrer les rapports de pouvoir : par exemple, s’assurer que tous les groupes de sa classe sont représentés au moment de différentes activités.
  • Avoir un comité nommé Expériences de vie (ou autre titre) qui invite les élèves à communiquer leurs expériences scolaires et sociales sous le prisme de leurs différentes identités. Il est important, comme dans tout comité, qu’il y ait des membres qui ne subissent pas de discrimination, d’oppression ou de racisme.

Des pratiques gagnantes

Le concept de l’intersectionnalité, assez nouveau en éducation, est un concept qui peut faciliter la création de milieux d’apprentissage sûrs et inclusifs. À vous de transformer ce concept en pratique gagnante!

Une pratique gagnante est d’assurer la participation des personnes concernées dans la recherche de solutions (Choffat et Martin, 2014). D’après ces auteurs, lorsqu’il y a un enjeu de discrimination, d’oppression ou de racisme, il y a trop de décideuses et de décideurs de la classe dominante qui élaborent une solution, sans toutefois consulter la population concernée! Par exemple, si des élèves nouvellement arrivés du même pays se chicanent souvent dans la cour de récréation au lieu de se conformer au code de vie général de l’école, il serait pertinent d’essayer de mieux comprendre toutes les identités des élèves, avec les parents, puis de trouver une solution adaptée à leurs besoins précis.


En bref

Le concept de l’intersectionnalité favorise une vision plus englobante des différentes identités des élèves dans la salle de classe et permet de mieux comprendre ainsi la façon dont certaines de ces identités peuvent faire naître des situations d’oppression, de discrimination et de racisme. En créant un milieu d’apprentissage culturellement sûr et inclusif, en pleine conscience de l’intersectionnalité de ses élèves, l’enseignante ou l’enseignant contribue à l’établissement d’un milieu où les iniquités sociales sont réduites. Pour les éliminer complètement, il faut également changer les politiques qui encadrent le système scolaire.

Que vous a inspiré cette capsule sur le concept de l’intersectionnalité? Comment pouvez-vous adapter les stratégies proposées en tant que membre du personnel d’un établissement scolaire? Aviez-vous déjà réfléchi au fait que certains élèves sont aux prises avec plus d’une forme de discrimination ou d’oppression? Comment pensez-vous que ces nouvelles connaissances vont changer votre gestion de classe et vos pratiques pédagogiques?


Liens vers les capsules théoriques


Références bibliographiques

  • Battiste, M. (2013). Decolonizing education : Nourishing the learning spirit. UBC Press, Purich Publishing.
  • Choffat, D. et Martin, H. (2014). L’intervention sociale en faveur des femmes migrantes à l’intersection des rapports sociaux de sexe, de race et de classe. Nouvelles pratiques sociales, 26(2), 157-170.
  • Corwin. (2016). Gary Howard : Deepening Your Equity Impact Webinar [vidéo]. Repéré le 19 mars 2020 à https://www.youtube.com/watch?v=E3XaAZ019jQ.
  • Crenshaw, K. W. (1989). Demarginalizing the intersection of race and sex : A black feminist critique of antidiscrimination doctrine, feminist theory and antiracist politics. u. Chi. Legal f., 139.
  • Crenshaw, K. W. (2017). On intersectionality : Essential writings. The New Press.
  • CRIAW. (2009). Everyone Belongs: A Toolkit for Applying Intersectionality. June 2009. Ottawa: CRIAW.
  • Davis, B. M. (2016). Enseigner en contexte de diversité ethnoculturelle : stratégies pour favoriser la réussite de tous les élèves. Montréal, Canada : Chenelière Éducation.
  • Devarennes, H. (2017). Réussite en littératie et capital culturel. Éducation et francophonie, 45(2), 214-23.
  • Fourot, A. C. (2016). Redessiner les espaces francophones au présent : la prise en compte de l’immigration dans la recherche sur les francophonies minoritaires au Canada. Politique et sociétés, 35(1), 25-48.
  • Gary Howard Equity Institutes. (1993). Whites in Multicultural Education. Repéré le 19 mars 2020 à http://www.ghequityinstitute.com/gh_articles/whites_in_multicultural_education.pdf.
  • Lareau, A. (2011). Unequal childhoods : Class, race and family life, (2e éd.), Berkeley : University of California Press.
  • Linton, C. et Davis, B. M. (2013). Equity 101 – Culture. Thousands Oaks, Californie : A SAGE Company.
  • Milne, E. (2017). Renegotiating family-school relationships among Indigenous peoples in Southern Ontario. Thèse de doctorat, Waterloo : Université de Waterloo. Repéré le 10 mars 2020 à https://uwspace.uwaterloo.ca/bitstream/handle/10012/9810/Milne_Emily.pdf?sequence=1&isAllowed=y.
  • Ministère de l’Éducation de l’Ontario. (2014). Accroître la capacité – Une pédagogie sensible à la culture. Repéré le 10 mars 2020 à http://www.edu.gov.on.ca/fre/literacynumeracy/inspire/research/CBS_ResponsivePedagogyFr.pdf.

© Le Centre franco, 2019, 2021 – Tous droits réservés.
Le Centre franco a créé ce site Web grâce au financement du ministère de l’Éducation de l’Ontario.