Les approches plurielles des langues et des cultures

Avec la collaboration spéciale de Marie-Paule Lory, professeure-adjointe, Université de Toronto

À l’heure actuelle, la diversité linguistique et culturelle fait partie du quotidien des élèves. Présente dans l’environnement familial de certaines et de certains élèves, elle l’est aussi dans les réseaux sociaux et les films, mais également dans nos communautés de plus en plus multiethniques et multiculturelles. Ce paysage linguistique et culturel varié représente la société du 21e siècle, celle dans laquelle nos élèves évoluent et dans laquelle elles et ils deviendront des citoyennes et des citoyens du monde. Dans de telles conditions, comment tirer parti de cette richesse linguistique et culturelle en salle de classe? Comment parler de cette diversité linguistique et culturelle aux élèves? Comment éviter que les élèves souffrent d’insécurité linguistique? Qu’entend-on par approches plurilingue, multilingue et bilingue ou encore par entrelacement des langues? C’est ce que cette capsule vous propose d’explorer en présentant des approches pédagogiques qui répondent à ces questions et offrent des espaces d’enseignement plus inclusifs et équitables.

Introduction

À l’instar des grands centres urbains à travers le monde, nos écoles sont caractérisées par une grande diversité. Dans ce contexte multiculturel et plurilingue, le statut hiérarchisé des langues ainsi que la valorisation ou la dévalorisation dont celles-ci font parfois l’objet peuvent créer des malentendus, voire des tensions, ou même ralentir l’apprentissage.

« Quand le message donné à l’enfant à l’école, explicitement ou implicitement, est : “Laisse ta langue et ta culture à la porte d’entrée de l’école”; les enfants laissent aussi une partie importante d’eux-mêmes – leur identité – à la porte de l’école. Il est fortement improbable qu’ils puissent participer à l’enseignement activement et avec confiance en sentant ce rejet. » (Cummins, 2001, p. 19)

À cette heure de la mondialisation, le personnel scolaire se doit donc de considérer l’impact que le droit d’utiliser et le fait d’encourager l’utilisation de sa ou de ses langues maternelles ou d’autres langues parlées dans l’environnement familial des élèves a sur le sentiment de bien-être et d’appartenance que peut éprouver l’élève. Ce qui, en retour, la ou le motive à apprendre et lui montre la valeur de sa ou de ses langues et de sa ou de ses cultures. Dès lors, la valorisation de la diversité linguistique et culturelle représente un symbole important qui permet d’établir des liens de qualité entre les familles, les communautés et l’école, et de souligner que les connaissances linguistiques et culturelles des familles ont aussi une place valorisée à l’école et par celle-ci.

Les approches plurielles des langues et des cultures

Nature et définition des approches

Par définition, on appelle approches plurielles des langues et des cultures toute approche mettant en œuvre des activités impliquant à la fois plusieurs variétés linguistiques et culturelles (CARAP, 2012). Il existe de nombreuses approches pédagogiques qui relèvent de ces principes de valorisation de la diversité des langues et des cultures en contexte scolaire. L’éveil aux langues (www.elodil.umontreal.ca), la lecture de livres dans plusieurs langues (Naqvi, McKeough, Thorne et Pfitscher, 2013), le théâtre plurilingue (Armand, Lory et Rousseau, 2013), les littératies plurielles (Dagenais, 2017) ou encore la valorisation des langues des élèves dans des pratiques d’écriture et de grammaire (Fleuret et Thibeault, 2016) ne sont que quelques exemples de pratiques pédagogiques aujourd’hui implantées dans les salles de classe au Canada par du personnel enseignant et des chercheuses et des chercheurs.

Les approches plurielles des langues ou des cultures reconnaissent que la coexistence et l’interaction de deux ou de plusieurs langues créent une identité linguistique, soit un ensemble linguistique qui n’est pas décomposable et que l’on appelle un répertoire linguistique. À titre d’exemple, c’est lorsque la langue de scolarisation est dominante et qu’on fait appel à une ou à plusieurs autres langues parlées par les élèves comme stratégie afin d’établir certains liens (p. ex., les congénères ou les mots dits « vrais amis », les alternances de codes et les emprunts de mots ou d’expressions).

« Il est possible d’adapter – et d’enrichir – plusieurs des activités et des tâches prévues en salle de classe en permettant aux élèves de les aborder dans plus d’une langue. En les invitant à utiliser leur langue maternelle en plus du français, les élèves pourront ainsi mettre à contribution leurs forces, y compris leurs connaissances scolaires, linguistiques et culturelles. » (Le Centre franco, 2017, p. 44)

Dès lors, les approches plurielles des langues et des cultures mettent l’accent sur une vision qui prend en compte la complexité des langues et de leurs interactions dynamiques, et reconnaît l’influence des langues entre elles (Coste, Moore et Zarate, 1997; Piccardo, 2013). En d’autres mots, en valorisant le plurilinguisme, on admet l’interdépendance et la complémentarité des différentes langues et des apprentissages, en amenant les élèves bilingues et plurilingues à mobiliser, à confronter et à utiliser leurs connaissances et leurs habiletés dans différentes langues ainsi qu’à s’engager activement dans l’appropriation de nouveaux savoirs.

Les objectifs de ces approches en contexte franco-ontarien

Dans les écoles de langue française de l’Ontario, les objectifs de l’implantation des approches plurielles des langues et des cultures sont :

  • de sensibiliser les élèves à la diversité linguistique et, selon le cas, légitimer la ou les langues d’origine des élèves provenant de l’immigration;
  • de faire acquérir aux élèves des connaissances sur les langues du monde et de développer leur curiosité linguistique et culturelle;
  • de participer à la réconciliation en faisant acquérir aux élèves des connaissances sur les langues autochtones;
  • d’amener les élèves à développer des habiletés d’analyse et d’observation réfléchie du fonctionnement des langues (capacités métalinguistiques) en lien avec l’apprentissage de la langue d’enseignement;
  • de favoriser la cohabitation linguistique en amenant les élèves à développer le plaisir de parler la langue d’enseignement et les autres langues de leur répertoire linguistique;
  • de légitimer l’ensemble des connaissances linguistiques et culturelles des familles, qu’elles soient francophones, francophiles ou du monde, pour participer à la mise en place d’un espace scolaire ontarien plus équitable et inclusif.

(Objectifs adaptés de Éducation interculturelle et diversité linguistique, ÉLODIL, 2013, p. 8; Lory et Armand, 2016; Prasad et Lory, 2019)

Témoignage d’une élève qui a participé à des projets plurilingues dans une école de langue française de l’Ontario (extraits de la recherche doctorale de Prasad, 2015) :

« Moi, j’ai trouvé que le projet [plurilingue] c’est plutôt bien parce qu’on pouvait montrer aux autres toutes les langues qu’on connaissait, qu’on parlait à la maison... Je n’avais jamais utilisé mes langues à l’école et même mes copines, elles ne savaient pas que je parlais plusieurs langues. »

Des stratégies d’apprentissage et d’enseignement : entrelacement des langues ou translanguaging

Au cœur des approches plurielles des langues et des cultures, on trouve la mise en place et la valorisation de stratégies d’apprentissage et d’enseignement dans lesquelles les langues et les cultures sont vues comme une richesse et un atout dans le développement scolaire des élèves.

L’entrelacement des langues est un exemple de stratégie qui prend en compte le système linguistique des élèves dans sa globalité et donne la possibilité aux élèves de puiser l’information dont elles et ils ont besoin dans leur répertoire linguistique (p. ex., langues connues, langage non verbal, geste ou autres éléments pouvant aider à donner du sens ou un contexte). Bien que cette stratégie ne soit pas nécessairement sanctionnée dans les écoles, elle n’est pas toujours assez valorisée comme stratégie légitime disponible pour mieux apprendre. C’est dans cet esprit que les approches plurielles des langues et des cultures innovent en faisant de cette stratégie interlinguale une composante majeure dans l’enseignement et l’apprentissage. Ainsi, il s’agit d’une stratégie qui met en valeur et favorise le transfert des connaissances et des habiletés acquises dans une langue vers une autre, le développement de capacités métalinguistiques et, plus largement, le développement d’une compétence plurilingue.

Grâce à ce type de stratégie, on propose un enseignement plus équitable et inclusif en valorisant le répertoire linguistique et culturel de l’élève dans son entier, plutôt que seulement une partie de ce répertoire. Selon Ofelia García (2017), professeure émérite en matière d’entrelacement des langues, si l’on considère une ou un enfant bilingue qu’avec la moitié de son répertoire, c’est comme si on demandait à une personne qui joue de la batterie de ne toujours jouer que d’une main, tout en s’attendant à la même qualité que celle d’une personne qui utiliserait ses deux mains.

Pour en connaître davantage sur l’entrelacement des langues, consultez la vidéo L’entrelacement des langues dans la langue de communication présentée par Phyllis Dalley.

Insécurité et représentations linguistiques

S’appuyant sur de multiples auteures et auteurs, Armand, Dagenais et Nicollin (2008, p. 47) ont mis en lumière qu’« en milieu scolaire, la non-reconnaissance de l’existence de la langue de la famille, différente de celle de l’école, peut se traduire par une “insécurité linguistique“, un sentiment de discrimination, une baisse de l’estime de soi, ainsi que par des difficultés à transférer des acquis cognitifs et langagiers d’une langue à l’autre ». Elles soulignent ainsi que « l’école se doit de reconnaître la variété des langues parlées dans la société ainsi que les connaissances linguistiques des élèves bilingues et plurilingues ».

En plus de l’apprentissage de la langue, la question de l’accent s’avère parfois délicate pour l’élève dont la langue maternelle n’est pas la langue d’enseignement. Ainsi, le fait de se faire juger négativement sur ses capacités linguistiques en raison d’un accent est susceptible de nourrir ce sentiment d’insécurité chez l’élève. Pour contrer celui-ci, spécialement en situation linguistique minoritaire, la création d’un environnement sécuritaire pour s’exprimer en français devrait donc tenir compte également du pluralisme des accents, qu’ils soient des accents francophones ou d’ailleurs.

Pour une représentation positive des pratiques langagières

Selon la pédagogue et sociolinguiste Phyllis Dalley, il importe de modifier ses représentations sur les langues, soit l’ensemble des images qu’un individu se construit à propos des langues (Lory, 2015), pour mieux accompagner les élèves dans la construction d’une sécurité langagière. Le tableau ci-dessous2 a été adapté des travaux de Dalley et résume certaines représentations qui peuvent avoir un impact sur l’insécurité linguistique et sur lesquelles le personnel enseignant des écoles de langue française de l’Ontario a le pouvoir d’agir :

Des exemples de représentations négatives … des représentations plus positives à favoriser

Les élèves parlent mal!

Les élèves en connaissent beaucoup plus que ce dont je me rends compte (elles et ils ont de nombreuses compétences cachées ou non révélées à l’école) et connaissent souvent plusieurs langues.

Elles et ils ont de bonnes compétences sur lesquelles sont fondés leurs apprentissages en français.

Elles et ils ont des ressources linguistiques qu’il faut continuer à développer et à diversifier.

Elles et ils utilisent leurs ressources linguistiques pour communiquer et non pour qu’on les évalue.

Les élèves ne font même pas l’effort de parler en français.

Pour plusieurs, parler français équivaut à prendre un risque important.

Prendre la parole devant un groupe ou une figure d’autorité exige une bonne dose de courage.

Parler en français lorsque tout se passe en anglais autour de soi est très difficile. Si, en plus, on se fait continuellement corriger…

Les élèves ne sont pas capables de dire une phrase en français sans emprunter de l’anglais!

Il est normal que des locutrices et des locuteurs d’une langue minoritaire fassent des emprunts de la langue majoritaire.

Le tissage des langues est une pratique commune dans toutes les communautés bilingues et plurilingues du monde.

Ce tissage est un symbole d’appartenance au groupe.

2Représentations tirées et adaptées de la présentation Former des locuteurs et des locutrices confiants, présentée par Phyllis Dalley, Ph. D. (2018).

C’est donc en créant un climat positif, ouvert à la diversité linguistique et culturelle que l’on peut favoriser l’engagement actif des élèves dans l’apprentissage du français ainsi que des autres matières.

Des pratiques gagnantes et des ressources à privilégier

Diverses racines, diverses voix

Le document Diverses racines, diverses voix – Guide pratique pour accueillir et accompagner les élèves nouveaux arrivants dans les écoles de langue française de l’Ontario propose des stratégies afin d’utiliser une approche multilingue pour les nouveaux arrivants en apprentissage du français, dont celles-ci :

  • Encourager les élèves qui commencent à apprendre le français à écrire dans leur propre langue (p. ex., leurs premières entrées dans leur journal) ou à formuler leurs idées dans leur langue maternelle (p. ex., schématisation conceptuelle).
  • Donner aux élèves en apprentissage du français l’occasion de travailler avec des partenaires qui parlent la même langue qu’elles et eux (p. ex., réfléchir, faire des associations et échanger dans leur langue maternelle).
  • Créer des activités d’apprentissage qui tirent parti des langues maternelles des élèves du groupe-classe (p. ex., comparer les chiffres dans diverses langues).
  • Inviter l’élève plurilingue à accomplir des tâches en utilisant deux ou plusieurs langues (p. ex., des publicités bilingues ou multilingues pour attirer les touristes dans un pays ou une région).

Pour consulter le document en ligne, cliquez sur le lien suivant.

ÉLODIL – Enseigner en milieu pluriethnique et plurilingue

Le site Web Éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique (ÉLODIL) a pour vocation de soutenir les enseignantes et les enseignants qui travaillent en milieu pluriethnique et plurilingue. On y trouve plusieurs vidéos et ouvrages pédagogiques, des bibliographies de littérature jeunesse, des liens qui permettent d’accéder à des articles et à des rapports de recherche, et qui font des liens entre la recherche en éducation et les pratiques sur le terrain.

Pour consulter le site Web ÉLODIL, cliquez sur le lien suivant.

Des solutions pour favoriser un sentiment de sécurité linguistique

Dans le cadre d’une étude qui a pour but de mener à une stratégie nationale pour répondre à l’insécurité linguistique, des spécialistes et des membres de la communauté proposent six solutions à ce phénomène.

  1. Résister à la tentation de toujours corriger le français
  2. Parler davantage en salle de classe
  3. Développer la résilience
  4. Transformer des moments négatifs en occasions d’apprentissage
  5. Encourager la création en français
  6. Valoriser davantage les accents dans les médias

Pour découvrir tout ce que ces expertes et experts ont à dire et les pistes d’interventions proposées, cliquez sur le lien suivant.

Soulignons également que, dans les écoles de langue française de l’Ontario, de nombreuses enseignantes et de nombreux enseignants implantent déjà des activités relevant des approches plurielles des langues et des cultures. Par exemple, certaines et certains utilisent des murs de mots plurilingues, favorisent la lecture de livres dans la langue du choix des élèves ou encore font du théâtre plurilingue. Plusieurs enseignantes et enseignants participent aussi au concours Kamishibai plurilingue coordonné par l’équipe de recherche ÉLODIL Ontario, projet dans lequel les élèves doivent, en collaborant, créer et illustrer une histoire en plusieurs langues (www.elodilontario.com, concours Kamishibai plurilingue).

En bref

Selon les travaux de recherche (Armand, Dagenais et Nicollin, 2008; Cummins, 2001, 2009; Cummins et Early, 2011; Moore, 2006; Prasad, 2012), les compétences langagières et les connaissances conceptuelles sont habituellement transférables d’une langue à l’autre. La langue maternelle constitue donc un bon point de départ pour apprendre à maîtriser d’autres langues. En plus d’aider les élèves à entretenir un lien vital avec leur famille, les communautés culturelles et le milieu scolaire, elle les aide à affirmer et à construire leur propre identité de façon inclusive.

« Ainsi, les enseignants [ainsi que tous les membres du personnel scolaire] sont encouragés à adopter une position subtile de “funambule”, qui leur permet, d’une part, de mettre pleinement l’accent sur l’apprentissage du français, langue d’enseignement et langue commune des échanges publics, et, d’autre part, de tenir compte du bagage linguistique et culturel des élèves. L’apprentissage du français est abordé de façon complémentaire et non en opposition au maintien et à l’enrichissement des langues maternelles. » Armand et Maraillet, 2013, p. 4.

Que vous a inspiré cette capsule portant sur les approches plurielles des langues et des cultures? De quelles façons abordez-vous les langues que parlent les élèves? Dans quelle mesure pouvez-vous affirmer que vos représentations de leurs pratiques langagières sont positives? Que pourriez-vous faire pour favoriser la sécurité linguistique chez vos élèves?

Liens vers les capsules théoriques

Références bibliographiques

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