Nature et définition des approches
Par définition, on appelle approches plurielles des langues et des cultures toute approche mettant en œuvre des activités impliquant à la fois plusieurs variétés linguistiques et culturelles (CARAP, 2012). Il existe de
nombreuses
approches pédagogiques qui relèvent de ces principes de valorisation de la diversité des langues et des cultures en contexte scolaire. L’éveil aux langues (www.elodil.umontreal.ca), la lecture de livres dans plusieurs langues
(Naqvi, McKeough, Thorne et Pfitscher, 2013), le théâtre plurilingue (Armand, Lory et Rousseau, 2013), les littératies plurielles (Dagenais, 2017) ou encore la valorisation des langues des élèves dans des pratiques d’écriture et de
grammaire (Fleuret et Thibeault, 2016) ne sont que quelques exemples de pratiques pédagogiques aujourd’hui implantées dans les salles de classe au Canada par du personnel enseignant et des chercheuses et des chercheurs.
Les approches plurielles des langues ou des cultures reconnaissent que la coexistence et l’interaction de deux ou de plusieurs langues créent une identité linguistique, soit un ensemble linguistique qui
n’est pas
décomposable et
que l’on appelle un répertoire linguistique. À titre d’exemple, c’est lorsque la langue de scolarisation est dominante et qu’on fait appel à une ou à plusieurs autres langues parlées par les élèves comme stratégie afin
d’établir
certains liens (p. ex., les congénères ou les mots dits « vrais amis », les alternances de codes et les emprunts de mots ou d’expressions).
« Il est possible d’adapter – et d’enrichir – plusieurs des activités et des tâches prévues en salle de classe en permettant aux élèves de les aborder dans plus d’une langue. En les invitant à utiliser leur
langue maternelle en plus du français, les élèves pourront ainsi mettre à contribution leurs forces, y compris leurs connaissances scolaires, linguistiques et culturelles. » (Le Centre
franco, 2017, p. 44)
Dès lors, les approches plurielles des langues et des cultures mettent l’accent sur une vision qui prend en compte la complexité des langues et de leurs interactions dynamiques, et reconnaît l’influence des langues entre elles
(Coste, Moore et Zarate, 1997; Piccardo, 2013). En d’autres mots, en valorisant le plurilinguisme, on admet l’interdépendance et la complémentarité des différentes langues et des apprentissages, en amenant les
élèves bilingues et
plurilingues à mobiliser, à confronter et à utiliser leurs connaissances et leurs habiletés dans différentes langues ainsi qu’à s’engager activement dans l’appropriation de nouveaux savoirs.
Les objectifs de ces approches en contexte franco-ontarien
Dans les écoles de langue française de l’Ontario, les objectifs de l’implantation des approches plurielles des langues et des cultures sont :
- de sensibiliser les élèves à la diversité linguistique et, selon le cas, légitimer la ou les langues d’origine des élèves provenant de l’immigration;
- de faire acquérir aux élèves des connaissances sur les langues du monde et de développer leur curiosité linguistique et culturelle;
- de participer à la réconciliation en faisant acquérir aux élèves des connaissances sur les langues autochtones;
- d’amener les élèves à développer des habiletés d’analyse et d’observation réfléchie du fonctionnement des langues (capacités métalinguistiques) en lien avec l’apprentissage de la langue d’enseignement;
- de favoriser la cohabitation linguistique en amenant les élèves à développer le plaisir de parler la langue d’enseignement et les autres langues de leur répertoire linguistique;
- de légitimer l’ensemble des connaissances linguistiques et culturelles des familles, qu’elles soient francophones, francophiles ou du monde, pour participer à la mise en place d’un espace scolaire ontarien plus équitable et
inclusif.
(Objectifs adaptés de Éducation interculturelle et diversité linguistique, ÉLODIL, 2013, p. 8; Lory et Armand, 2016; Prasad et Lory, 2019)
Témoignage d’une élève qui a participé à des projets plurilingues dans une école de langue française de l’Ontario (extraits de la recherche doctorale de Prasad, 2015) :
« Moi, j’ai trouvé que le projet [plurilingue] c’est plutôt bien parce qu’on pouvait montrer aux autres toutes les langues qu’on connaissait, qu’on parlait à la maison... Je n’avais jamais utilisé mes
langues à l’école et
même mes copines, elles ne savaient pas que je parlais plusieurs langues. »
Des stratégies d’apprentissage et d’enseignement : entrelacement des langues ou translanguaging
Au cœur des approches plurielles des langues et des cultures, on trouve la mise en place et la valorisation de stratégies d’apprentissage et d’enseignement dans lesquelles les langues et les cultures sont vues comme une richesse et
un atout dans le développement scolaire des élèves.
L’entrelacement des langues est un exemple de stratégie qui prend en compte le système linguistique des élèves dans sa globalité et donne la possibilité aux élèves de puiser l’information dont elles et ils ont besoin dans leur
répertoire linguistique (p. ex., langues connues, langage non verbal, geste ou autres éléments pouvant aider à donner du sens ou un contexte). Bien que cette stratégie ne soit pas nécessairement sanctionnée dans les écoles, elle
n’est pas toujours assez valorisée comme stratégie légitime disponible pour mieux apprendre. C’est dans cet esprit que les approches plurielles des langues et des cultures innovent en faisant de cette stratégie interlinguale une
composante majeure dans l’enseignement et l’apprentissage. Ainsi, il s’agit d’une stratégie qui met en valeur et favorise le transfert des connaissances et des habiletés acquises dans une langue vers une autre, le développement de
capacités métalinguistiques et, plus largement, le développement d’une compétence plurilingue.
Grâce à ce type de stratégie, on propose un enseignement plus équitable et inclusif en valorisant le répertoire linguistique et culturel de l’élève dans son entier, plutôt que seulement une partie de ce répertoire. Selon Ofelia
García (2017), professeure émérite en matière d’entrelacement des langues, si l’on considère une ou un enfant bilingue qu’avec la moitié de son répertoire, c’est comme si on demandait à une personne qui joue de la batterie de ne
toujours jouer que d’une main, tout en s’attendant à la même qualité que celle d’une personne qui utiliserait ses deux mains.
Pour en connaître davantage sur l’entrelacement des langues, consultez la vidéo L’entrelacement
des langues dans la langue de communication présentée par Phyllis Dalley.
Insécurité et représentations linguistiques
S’appuyant sur de multiples auteures et auteurs, Armand, Dagenais et Nicollin (2008, p. 47) ont mis en lumière qu’« en milieu scolaire, la non-reconnaissance de l’existence de la langue de la famille, différente de celle
de
l’école, peut se traduire par une “insécurité linguistique“, un sentiment de discrimination, une baisse de l’estime de soi, ainsi que par des difficultés à transférer des acquis cognitifs et langagiers d’une langue
à l’autre ».
Elles soulignent ainsi que « l’école se doit de reconnaître la variété des langues parlées dans la société ainsi que les connaissances linguistiques des élèves bilingues et plurilingues ».
En plus de l’apprentissage de la langue, la question de l’accent s’avère parfois délicate pour l’élève dont la langue maternelle n’est pas la langue d’enseignement. Ainsi, le fait de se faire juger négativement sur ses capacités
linguistiques en raison d’un accent est susceptible de nourrir ce sentiment d’insécurité chez l’élève. Pour contrer celui-ci, spécialement en situation linguistique minoritaire, la création d’un environnement sécuritaire pour
s’exprimer en français devrait donc tenir compte également du pluralisme des accents, qu’ils soient des accents francophones ou d’ailleurs.
Pour une représentation positive des pratiques langagières
Selon la pédagogue et sociolinguiste Phyllis Dalley, il importe de modifier ses représentations sur les langues, soit l’ensemble des images qu’un individu se construit à propos des langues (Lory, 2015), pour mieux accompagner les
élèves dans la construction d’une sécurité langagière. Le tableau ci-dessous2 a été adapté des travaux de Dalley et résume certaines représentations qui peuvent avoir un impact sur l’insécurité linguistique et sur
lesquelles le
personnel enseignant des écoles de langue française de l’Ontario a le pouvoir d’agir :
Des exemples de représentations négatives |
… des représentations plus positives à favoriser |
Les élèves parlent mal!
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Les élèves en connaissent beaucoup plus que ce dont je me rends compte (elles et ils ont de nombreuses compétences cachées ou non révélées à l’école) et connaissent souvent plusieurs langues.
Elles et ils ont de bonnes compétences sur lesquelles sont fondés leurs apprentissages en français.
Elles et ils ont des ressources linguistiques qu’il faut continuer à développer et à diversifier.
Elles et ils utilisent leurs ressources linguistiques pour communiquer et non pour qu’on les évalue.
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Les élèves ne font même pas l’effort de parler en français.
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Pour plusieurs, parler français équivaut à prendre un risque important.
Prendre la parole devant un groupe ou une figure d’autorité exige une bonne dose de courage.
Parler en français lorsque tout se passe en anglais autour de soi est très difficile. Si, en plus, on se fait continuellement corriger…
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Les élèves ne sont pas capables de dire une phrase en français sans emprunter de l’anglais!
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Il est normal que des locutrices et des locuteurs d’une langue minoritaire fassent des emprunts de la langue majoritaire.
Le tissage des langues est une pratique commune dans toutes les communautés bilingues et plurilingues du monde.
Ce tissage est un symbole d’appartenance au groupe.
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2Représentations tirées et adaptées de la présentation Former des locuteurs et des locutrices confiants, présentée par Phyllis Dalley, Ph. D. (2018).
C’est donc en créant un climat positif, ouvert à la diversité linguistique et culturelle que l’on peut favoriser l’engagement actif des élèves dans l’apprentissage du français ainsi que des autres matières.